dimanche 6 septembre 2015

Tour du Cervin - Jour 2

Jour 2 : De Prarayer au refuge Perucca-Vuillermoz, par le col de Valcornera


Env 11km, D+ 1300m, D- 400m
Trace reconstituée

Réveil sans stress, petit déjeuner en admirant le paysage, on profite du bien être, de la tranquillité et de la vue. Le ton de la journée est donné : on admire et on traîne... Mais après tout, c'est bien pour cela qu'on est venus : en profiter.


Dans la tente, ce matin, le thermomètre annonçait 0°C. Cela se réchauffe étonnamment vite malgré l'ombre, mais c'est quand même la fraîcheur qui nous pousse à nous mettre en route pour aller chercher le soleil. C'est l'inconvénient de ne pas avoir bivouaqué plus près de Prarayer, nous aurions profité plus tôt de sa chaleur... Mais peut être moins de la vue de ses premiers rayons sur ce croisement de 4 vallées.


Premiers pas et regard en arrière comme une nostalgie, déjà, de la journée d'hier et de ce premier bivouac...


Le sentier descend doucement, slalome dans les alpages, traverse un bois. Le ruisseau près duquel nous avons passé la nuit se transforme petit à petit en torrent.


On arrive à Prarayer, 

Photo du Net

Où nous profitons du très beau refuge pour traîner un peu autour d'un café. Fort de ses origines italiennes, mon beau-père disait qu'un bon café se boit en jurant : brûlant et molto forte... Je viens assez souvent en Italie pour me savoir incapable de le boire ainsi, et je précise tout de suite : caffè francese, per favore ! Le serveur est visiblement un habitué de la clientèle française, voit tout à fait de quoi de parle, et me sert un délicieux café très parfumé et bien allongé.

Prarayer nous séduit, et pas uniquement pour son café ! Ambiance de tout petit village de montagne, serein et en même temps actif, d'où partent de multiples balades. Des enfants jouent autour du refuge, les nombreux randonneurs plaisantent, ... Envie de revenir séjourner dans le coin.


Résultat, il est déjà près de 9h lorsqu'on se décide à redémarrer, non sans plaisanter 2 minutes avec le gardien du troupeau présent derrière le refuge et qui s'amuse de me voir maintenir le fil de clôture au sol avec la rondelle de mes bâtons alors qu'il vient de nous préciser qu'elle n'est pas électrifiée... M'en voulez pas, M'sieur, mais on me l'a déjà faite, celle-là, et j'ai pas envie de me prendre les papattes dedans...

Décidément, aujourd'hui, nous sommes plus touristes que randonneurs, et l'ambiance est à admirer les paysages...


Le sentier traverse le torrent qui alimente le lac,


puis remonte vers la vallée de Valcornera entre les arbres avant de gagner les alpages au milieu des pieds de myrtilles.




A la surprise de JL qui n'est pas habitué à câliner les vaches, j'en profite pour me faire de nouvelles amies. 


La suite de la vallée est plus aride, moins agréable, et nous avançons enfin "presque" normalement, avant que le sentier ne bifurque vers l'Est et ne se décide à grimper franchement. On prend de l'altitude rapidement.


Deux barres rocheuses à franchir. La première est bien équipée (mains courantes de corde, marches scellées, ...), puis on contourne la seconde par des sentiers à flan de versant, où il est déconseillé d'avoir le vertige et où je serais certainement moins à mon aise par temps de neige...

La pente s'atténue, un dernier virage et l'on découvre... un paradis pour théoriciens du chaos et minéralogistes, où nous croiserons les seuls 4 autres randonneurs vus ce jour là. Autrement dit, une ancienne moraine enrichie d'éboulis divers et variés.


Quant au col de Valcornera que nous devons franchir, il est là-bas, en haut... Ça promet ! Pas envie de refaire la même erreur qu'hier dans un terrain qui ne sera certainement pas reposant, je prends le temps de faire le plein de carburant. La flemme de sortir les réchauds, je mouille simplement de la graine de couscous et l'avale avec du parmesan râpé, sans lui laisser le temps de gonfler... Ça nourrit, mais c'est pas bon... JL qualifiera même ça de "calories immangeables"... Pas grave, je rajoute une compote pour faire passer, la jauge est au vert, et c'est ça l'important.

La première partie du trajet est simple et serait presque ludique si j'aimais la caillasse : trouver où passer, façon équilibriste, au milieu d'un océan de rochers et quelques névés, sachant que le balisage ne fait que nous le confirmer : il faut aller "en face"...

Puis on aborde la dernière montée. Je disais plus tôt que ça grimpe ? Erreur. Ça ne grimpe pas, ÇA GRIMPE ! Moi qui n'aime pas la caillasse, je suis servie... Quand je pense que je n'ai pas apprécié la Baisse du Basto dans le Mercantour, en comparaison c'était une autoroute et je ne la regarderai plus jamais de la même façon ! Au moins, au Basto, les roches tenaient en place et la seule difficulté était d'y adapter son pas en gardant l'équilibre. Ici, l'incertitude est de mise, de nombreux blocs basculent lorsque l'on s'y appuie.


Le balisage est régulier, mais le parcours qu'il indique ne me séduit pas, je pense que divers éboulements y ont mis leur grain de sel, et je préfère naviguer à l'estime. Avec bonheur en général, en particulier lorsque je choisirai de traverser les névés malgré leur pente importante plutôt que de slalomer entre les blocs.

Mais je réussis aussi à choisir LE plan foireux du moment... Trompée par la couleur des roches (je pense), je crois voir que le passage sera plus simple à l'extrême droite, dans une zone qui me parait moins chaotique, moins pentue, et m'y oriente donc.
Erreur... De loin, j'ai sous-estimé la pente qui se révèle très prononcée sur quelques mètres, et le sol fait de gravier se soutient à peine lui-même. Alors inutile de dire qu'il n'apprécie pas ma présence et que le moindre bout de roche auquel je tente de m'accrocher a vite fait de s'enfuir...

Pas la peine de regarder derrière moi pour savoir que, dans cet éboulement, ça fera très beaucoup bobo si je me ramasse un gadin (c'est le cas de le dire)... Une pensée récurrente : Mais qu'est-ce que je fous là ? Impossible de rejoindre sans risques supplémentaires un passage plus facile, la seule échappatoire potentielle reposerait sur le bon vouloir d'un bloc que j'ai déstabilisé en tentant de m'y accrocher et qui ne demande qu'à donner raison à Newton... Il ne me reste qu'une solution, continuer vers le haut. Après tout, je n'ai que 2 ou 3 mètres à négocier... J'avance à 4 pattes, en tentant de multiplier les points d'appui et la surface de portance, de réduire la pression sur les éléments les moins stables, de jouer sur la direction de l'effort, ...


Miracle, ça tient, et je franchis enfin le passage... Plus que quelques mètres à faire jusqu'au col. JL a mieux choisi son chemin et y est déjà. De loin, je le préviens : "La prochaine fois que j'ai l'idée de venir me perdre dans un coin pareil, tu me fais interner. Et si c'est pareil de l'autre côté, tu peux faire venir un hélicoptère, je ne descendrai pas." Sur le moment, je suis sincère. J'ai eu peur, et je ne me sens clairement pas capable de descendre l'équivalent de ce que je viens de monter...
J’espère une phrase rassurante, m'attends à une taquinerie, il reste muet... Je comprends en arrivant au somment : c'est pas pareil, c'est pire. Tas de caillasse quasiment vertical par endroit, visiblement sans tenue, alterné de roche pourrie qui ne demande qu'à tomber, ... A défaut de tirer un rappel, et notre corde n'est pas assez longue pour cela, l'idéal pour se casser le cou. Pourtant je suis prête à parier que la carte indique clairement un trajet direct...

L'environnement est quasiment lunaire, c'est beau, mais on fait quoi, maintenant qu'on est là ?


Heureusement, nous découvrons rapidement que l'ancien sentier qui descendait directement est remplacé par un "nuovo sentiero" qui se faufile le long de la paroi à notre gauche. Il est nettement plus long, la roche y est à peine plus saine, mais il est moins pentu et équipé une fois de plus de mains courantes et autres marches ou passerelles.



Les débris sont tellement nombreux par endroit que nous regretterons de ne pas avoir de casque, serons heureux qu'il n'y ait pas foule, et que je purgerai certains passages pour éviter que JL qui me suit ne risque de me les faire tomber dessus... Mais cela reste une bonne façon de contourner le passage difficile que je serai encore plus heureuse d'avoir évité lorsque je l'examinerai d'en bas : 


En discutant plus tard avec le gardien du refuge, nous apprendrons que le trajet direct n'est plus utilisé qu'en hiver, lorsque la neige recouvre le glacier (que l'on devine sous les débris en bas), remonte sur la paroi, et qu'il a supprimé tous les éléments pouvant inciter à l'emprunter à d'autres saisons. Je le comprends, sans être tentée d'essayer... En lisant divers récits au retour, mon impression se confirmera : d'un côté comme de l'autre du col, une bonne expérience et un équipement digne de ce nom sont indispensables en hiver.

Edition de fin septembre : j'ai appris depuis que le sentier passait initialement sur une corniche constituant une rampe d'accès et que c'est l'effondrement partiel de cette corniche qui a rendu le passage impraticable.

Bref (si j'ose dire)... Un mauvais moment mais, après coup, un souvenir très fort et une expérience qui m'aura certainement apporté beaucoup. Ne serait-ce que cela, je n'ai réalisé que bien après que j'aurais pu demander à JL de me lancer la corde... 

Le temps de se remettre, d'admirer encore ce paysage, splendide bien qu'un peu minéral à mon goût,


nous arrivons en vue du refuge Perucca


Rançon de notre lenteur touristique du début de journée et du temps "perdu" au passage du col, il est déjà 17h. La carcasse va bien et pourrait continuer, mais la tête a eu sa dose d'aventures et d'incertitudes pour la journée, la motivation s'est pris une gifle, ... Les points de bivouac qui nous ont été indiqués dans les environs de Breuil nous paraissent loin. Pas sûrs de trouver avant la nuit un coin tranquille et plat qui ne soit pas déjà occupé par les vaches. Etc... Les excuses s'accumulent, en réalité nous n'avons pas envie de continuer... 


L'ambiance au refuge a l'air agréable, le tarif est correct, les seuls autres clients sont une sympathique famille italienne avec laquelle nous avons déjà échangé quelques mots en arrivant. C'est décidé, nous choisissons de dîner et passer la nuit au refuge. 

On s'installe au dortoir, nous ne serons que 8 pour les 25 places disponibles. Les autres randonneurs passeront le col demain vers Prarayer, nous interrogent sur le parcours, s'intriguent du petit volume de mon sac à dos, de celui de nos sacs de couchage (les leurs représentent plus de 10 litres), nous expliquent la cotation italienne des sentiers, etc. Discussions banales de tous les refuges, quel que soit le pays... Dîner dans une ambiance très conviviale,

Photo du site du refuge

puis la soirée se prolonge autour du refuge, en jouant avec le chien des gardiens, et en admirant chamois et bouquetins qui tournent à distance respectueuse, à peine détectables dans ces roches si n'était le mouvement.

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